L'étrange rencontre du maladroit Bastien #2
- Le petit marceau
- 11 mai 2021
- 6 min de lecture
Bastien se trouvait dans une impasse : il avait le choix entre deux solutions : fuir la vérité ou bien l'affronter de face. Restait à choisir entre ces deux options... Avouer à son terrible patron la bêtise qu'il venait de faire sur la chaîne d'assemblage, ou bien ne rien dire et laisser une chance qu'un autre prenne à sa place. Dilemme compliqué, surtout lorsque tout le monde sait que c'est vous. Mais, comme vous êtes leur supérieur, vous pourriez en virer un avant d'être vous-même virer de votre poste. Pas facile, le problème de Bastien. La pause-déjeuné approchant, il se mit à transpirer et à avoir des spasmes et des tics nerveux. Tout le monde savait que c'était lui. Il détestait la boîte, et n'y restait que pour gagner son pain. Il n'avait pas une assez bonne situation pour se permettre un déménagement. Mais ce n'était pas ça qui l'empêchait de râler et de se plaindre de ses collègues, de son salaire, de son patron, des conditions de travail... Chaque détail était une nouvelle raison pour renforcer la défense de Bastien contre son boulot. Et cette haine était réciproque. Son patron et ses collègues eux aussi, collectaient détails sur détails pour le faire mettre à la porte. Mais voilà, si la gaffe remontait, sans qu’il ait pu faire quelque chose, au Grand Patron, il en baverait. Non, il fallait qu'il trouve quelque chose. Il devait, dans la mesure du possible régler le problème sans qu'on puisse l'interpeller. Avec de la chance, toute l'histoire serait réglée avant peu.
Sa gaffe était simple : il avait joué avec son cran d'arrêt, et s'était ouvert la peau de la main, entre le pouce et l'index gauche. Oh, rien de grave, mais lorsque le sang tombe de deux étages sur le par-brise de la dernière Ferrari, qui coûte les yeux de la tête, prête pour la mise en exposition, comme disent les jeunes, on a le seum. Il devait donc aller nettoyer le sang sur le par-brise de la voiture. Il n'était que 11h55. Il avait largement le temps de laver sa bêtise. La chaîne d'assemblage avait arrêté de fabriquer la voiture vers 10h00 pour ne reprendre les petits détails que vers 15h00, et sa gaffe avait eu lieu vers 8h30. Le sang avait dû sécher depuis un moment. Il devait prendre un chiffon et de l'eau pour bien nettoyer, ou du moins en partie, qu'on ne devine pas trop ce qu'il c'était passé ce matin.
Il alla donc chercher ce qu'il lui fallait dans les toilettes, où on laissait toujours du nettoyant et du papier essuie-tout. Ça ne remplacerait pas le torchon, mais c'était ce qu'il avait de mieux. Il prit le matériel, et descendit l'étage qui le séparait de son erreur. Depuis qu'il était dans la fabrique, il avait pris l'habitude de connaître celles de ses collègues. Dans un des points communs, l'absence de toute personne au niveau de la chaîne d'assemblage était plus que probable. Ils passent le maximum de temps possible dans la salle – qui, au passage, ressemble plus à une porcherie qu'à un réfectoire. Bastien pouvait donc prendre son temps, ses collègues ne revenant sûrement pas avant une heure. Franchissant les couloirs les uns après les autres, il se retrouva bientôt devant la Ferrari. D'un rouge éclatant, sa carrosserie resplendissait. Le rouge se distinguait aussi au niveau du par-brise. Une marque très signifiante écarlate au beau milieu. Comme Bastien l'avait prévu, le sang avait coagulé sur le verre, mais avait toujours cet aspect gluant. Attrapant de sa main l'essuie-tout et de l'autre le seau d'eau, il s'empressa de nettoyer la vitre. Cinq minutes plus tard, le travail terminé et vérifié trois fois, Bastien se sentait enfin prêt à partir, l'esprit maintenant tranquille. Il remonta deux étages, se dirigeant vers la salle 200 pour chercher son déjeuné et jeter le papier essuie-tout. Puis il irait à la 306, celle qui servait de porcherie à ses collègues. Il allait leur servir une excuse banale qui ne les intéresserait pas, comme explication à son absence, se mettrait dans un coin et commencerait à manger. Surtout, ne rien laisser voir de suspect. Si c'était une autre des andouilles qui travaillaient avec lui qui avait fait ça, elle n'aurait eut que quelques reproches, une ou deux plaisanteries dessus, et une claque du patron dans le dos avec un conseil de ne plus recommencer, au moment où il sortirait. Mais pas Bastien. Ce serait plutôt un renvoi direct, suivi de remarques sur son comportement et sur son incompétence. Et avec sa situation en ce moment, il ne pouvait pas se le permettre. Tout son argent lui servait à régler des dettes d'une vie antérieure. Encore vingt-deux mille euros et il passerait à zéro. Il arrivait tout de même à payer son loyer et à s'acheter correctement des affaires et de la nourriture, mais tout juste. S'il coupait court à son salaire, qui tout de même lui rapportait beaucoup, il devrait recommencer bas, et les loyers pas chers ne fleurissent pas à tous les coins de rue. Bref, tout comportement suspect de lui envers ses collègues susciterait un étonnement de ces fouineurs, et ils pourraient même aller voir des vidéos de caméra, pour voir ce qu'a bien pu faire le sale Bastien Greenwich, et feraient tout pour le mettre à la porte. Ça devait à tout prix être évité.
Bastien, son repas sous le bras, alla vers cafétéria. Mais tandis qu'il s'y dirigeait, l'esprit libre, il ne ressentit pas l'étrange présence dans son dos. Au milieu environ, du mince couloir, les bureaux à sa droite, le garde-fou en métal à sa gauche, il ressentit un fort sentiment de malaise, de gêne. Il ne savait pas pourquoi, mais, dans son entourage présent, quelque chose n'allait pas. Il ne savait pas quoi, mais il se sentait dérangé. Pourtant il n'avait rien entendu ; pas même des bruits de pas lui indiquant qu'il aurait affaire à une personne. Il continua, dans ce nouvel état d'esprit, de marcher encore quelques instants, lorsque quelque chose l'attrapa par la peau du dos. Difficile de comprendre ce qu'il se passait sur le moment, mais il eut le temps de se demander ce qu'il lui arrivait. Puis la douleur prit le dessus sur la surprise. Ce qui l'a attrapé ne lui a pas seulement choppé sa tenue de travail, mais la peau du dos qui se trouve en-dessous. Un horrible supplice s'empare de lui, et ce qui se trouve derrière lui referme encore sa prise sur sa proie. Atroce. Maintenant, la peau de Bastien est cuisante. Bastien est prostré sur le garde-fou, s'y retenant fermement de ses deux mains, mordant sa langue pour oublier la douleur de son dos. Il ne peut crier ; la chose lui met une paluche atroce sur la bouche et une bonne partie du nez, l'empêchant d'appeler au secours. Il est livré à lui-même. D’autant plus que ce qui l'a saisi n'a rien de normal. La main ne semble compter que quatre doigts, dont certains ne sont pas proportionnels aux autres.
Tandis que la chose attrapait un maximum de peau du dos de Bastien, lui, essayait de la saisir par la taille. De la main gauche, il vint heurter un corps gluant, crasseux, presque flasque... Lorsqu'il ramena sa main vers lui, il vit avec horreur qu'un liquide poisseux rouge s'y trouvait. À cette vue, il eut un haut-le-cœur, mais prit son courage à deux mains. Il attrapa la chair de ce qui se trouvait derrière lui au niveau des flancs. Elle ne put le repousser, sauf si elle eut possédé plus de deux mains, les autres étant occupées à maintenir Bastien. Son accroche permit que la chose relâche un tant soit peu la pression sur la peau triturée du dos. Cela redonna à l'employé une nouvelle vague de courage, il se retourna entièrement, se dégageant ainsi des bras de la chose. Mais, à peine avait-il pu se défaire de l'étreinte, qu'elle revint à la charge, n'abandonnant rien. Elle le saisit cette fois par le bas-ventre et le poussa par-dessus le garde-fou. Il envisagea pendant quelques courts instants de se saisir de la barrière de fer comme dernier recours, mais le temps qu'il réagisse, il était trop tard. Sa dernière vision fut celle de la tête de le chose. Bien humaine, elle n'était pourtant pas commune. Du sang dégoulinait de larges plaies qui striaient le visage de cette personne. Les cheveux bruns, des lunettes en travers de le face, la bouche légèrement ouverte, c'était le seul lien avec la réalité qui restait à la chose. Puis ce fut le néant.
Quelques semaines plus tard, Bastien rouvrait les yeux. Il était réveillé depuis déjà quelques jours, mais n'arrivait pas à accumuler assez de forces vitales pour un effort de cette taille. Mais là, il se sentait assez en forme pour le faire. Et il réussit. Depuis son réveil mental, il avait réussi à ressasser tout ce qui s'était passé avant son accident. Et lorsqu'on l'interrogea, quelques heures après l'ouverture de ses paupières, il raconta toute la vérité. Mais ceux qui l'écoutèrent ne parurent pas persuadés. Puis, cinq jours après, on l'emmena dans une maison de repos, pour qu'il puisse mieux décompresser. On l'y emmena dans un bus, tandis que sa hanche brisée et sa jambe amputée le faisaient souffrir un maximum. Sur un panneau, il aperçut le nom de l'établissement.
Hôpital psychiatrique
Louis Simetierre
d'Ouélingtone
Ça promet, se dit-il en s'enfonçant dans son siège.
Une nouvelle de Valérian Chabal
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